PERIODE DE 1944 A 1981

 

 

 

 

 

Charles Schneider et les nouveaux horizons pour l'entreprise familiale

Le destin de Charles Schneider tient entre deux dates. Celle du 14 novembre 1944, lorsque l'accident d'avion de Jean Schneider fait de lui le dernier homme de la dynastie Schneider ; et celle du 6 août 1960 quand sa disparition brutale laisse pour la première fois depuis 124 ans, le Groupe Schneider sans capitaine désigné à sa tête. Deux lectures tentantes s'offrent de ces 18 années. La première en fait le récit d'un déclin annoncé, celui de la fin du capitalisme familial. La seconde voit dans l'accident de 1960 un coup du destin, le début des déboires qui vont frapper un groupe prospère et puissant.

La vérité est différente. Ses démêlés avec son père l'ont écarté du groupe durant l'entre deux guerres, mais Charles Schneider assume tous les pouvoirs à un moment charnière, celui du nouveau paysage économique et social qu'inaugure 1945. Malgré les ruines du Creusot, le groupe a d'importants atouts en 1945. Il faut remettre sur pied la France, lui fournir les équipements de la croissance. Charles Schneider est là, bénéficiant tant de son prestige que d'excellentes relations avec le monde américain et avec la classe politique française, en se tenant au service de la reconstruction du pays. Il faut se mettre au diapason d'une ère économique nouvelle, apprendre sans retard à manier les nouvelles idées, les mots de passe du succès industriel, et à fabriquer de nouveaux outils pour de nouveaux besoins. Charles Schneider s'attelle à cette mutation : modernisation, rationalisation, exportation, entrée dans des nouveaux secteurs,… Des réponses vigoureuses sont données, mais dans le cadre trop étroit de la société en commandite, complétée en 1949 par une nouvelle structure décentralisée dont les effets sont, à terme, négatifs.

En 1944, le groupe doit affronter une étape décisive de sa longue existence. Il est à reconstruire, mais selon quelles orientations ? Charles Schneider tranche très vite et de manière éminemment symbolique : il décide de mobiliser tout son personnel et de faire une usine plus belle et plus forte qu'avant. Il assortit cette mobilisation de considération sur les forces et faiblesse creusotine. Il souligne que l'usine n'est plus bien placée au niveau des matières premières : le charbon a disparu et le minerai est loin. Le Creusot n'est plus un site stratégique mais uniquement un site industriel en lui-même. Mais dans le but de survivre, une seule solution est envisageable : la reconversion dans ce nouveau contexte où il faut conquérir les marchés et les débouchés, en France et à l'étranger. Cette orientation confirme le nouvel emblème de la société adopté par Eugène II après les nationalisations de 1936 et 1937. L'emblème anciennement représenté par des canons croisés a cédé la place à une enclume plus pacifique et industrieuse. Ce qui montre la volonté de Charles Schneider de tourner le dos aux constructions militaires.

 

 

L'enclume pacifique a remplacé le canon croisé de l'avant guerre.

(N'ayant pu retrouver l'emblème d'origine représentant les canons, nous l'avons redessiné.)

 

 

La renaissance du Creusot

Il achève sa reconstruction de manière rapide et exceptionnelle au regard des conditions de l'époque. La modernisation continue de l'outillage entre 1945 et 1950, les investissements réguliers du groupe métamorphosent peu à peu la cité, la libère progressivement des odeurs, des fumées, du martèlement sourd des pilons. Son caractère de ville noire s'estompe, le Creusot se modernise et entre, comme la France entière dans l'ère de la consommation. Ce retour progressif à la normale est identique pour les autres usines du groupe et dès mars 1945 tous les ateliers sont remis en marche. Fin 1946, l'usine est prête à fonctionner.

 

 

 

La filialisation

Dans le but d'alléger la tâche de la direction vis-à-vis des signatures et des contrats de tous les petits entrepreneurs de travaux publics assurant des tâches de sous-traitance. Une mutation s'impose afin de clarifier la place du groupe et constituer des sociétés plus cohérentes, en évitant, selon l'expression du gérant la "dispersion des activités du commandement". Aura donc lieu l'assemblée générale du 28 juin 1949 pour opérer la réorganisation interne.

 

 

La réorganisation de 1949

 

Au niveau de la Compagnie Industrielle de TRAvaux (CITRA), nouvelle société anonyme au capital de 750 millions de francs, elle reprend l'ensemble du fond de commerce formant la branche des travaux publics avec, à côté des Etablissements et Matériels, des participations dans la Société Saint-quentinoise de construction, qui réalise des charpentes métalliques et des pylônes pour la distribution de l'électricité : la Société des anciens établissements Chavanne Brun Frères à Saint-Chamond-Montbrison et la Société d'Etudes et d'Entreprises Sidérurgiques (SEES).

 

 

Schneider sous influence

En 1960, en perdant son chef et le dernier porteur du nom, le groupe affronte la décennie des "grandes manœuvres industrielles" dans des conditions incertaines. La question de la propriété familiale et de l'avenir de la société est posé. L'entrée du groupe Empain dans le capital introduit une autre complication. Schneider connaît une succession de crises arbitrées par les pouvoirs publics jusqu'à la prise de pouvoir définitive des barons Empain en 1969. Placé bien malgré lui au centre d'une partie qui le dépasse et dont il est moins sujet qu'objet, le groupe est partagé entre quatre influences concurrentes :

Engagée dans des secteurs clefs de l'industrie française mais contrôlée par des intérêts privés étrangers, le groupe se trouve constamment en porte-à-faux vis-à-vis de la politique des "champions nationaux" qu'encourage l'Etat.

Soumises à des logiques dont aucune ne maintient un véritable esprit de groupe, les entreprises réunies sous le contrôle de Schneider vivent leur existence propre : dans la décentralisation. Porté par la croissance, le groupe fait fructifier ses positions dans la sidérurgie, la mécanique, la banque, l'entreprise, le nucléaire, il s'ouvre à de nouveaux domaines comme l'informatique ou l'automatisme. Mais il lui manque une stratégie globale, pour remédier aux faiblesses de certaines activités et savoir profiter des grandes concentrations du moment, qui s'exercent le plus souvent à son détriment. Au tournant des années 70, le groupe de la rue d'Anjou (siège de Schneider à Paris) perd finalement son indépendance en tombant dans le giron Empain.

 

 

 

L'arrivée d'Empain

Malgré sa puissance et son rayonnement, le groupe Schneider apparaît affaibli et vulnérable. La famille le reconnaît et doit admettre la fin de cette affaire du type familial.

Il est envisagé de se sortir de cet embarra en se séparant de la société, bruit qui court jusqu'à l'état-major du groupe belge Empain qui, au printemps 1963, donne son accord à l'achat des titres. De plus, les groupes Schneider et Empain s'avèrent à la fois complémentaires mais aussi concurrents. Tous deux détenteurs de licences Westinghouse, associés au sein de Framatome, ils entament au même moment le rapprochement de leurs deux grandes filiales : la société des Forges et Ateliers de Jeumont et le Matériel Electrique Schneider.

Cependant, bien que le rachat de Schneider & Cie par le groupe Empain ait aidé le groupe à se redresser, la solution de 1963 n'était que provisoire. Au printemps 1966, Lilian Schneider (épouse de Charles Schneider) et est contrainte de céder une partie de leurs actions pour payer les droits de succession de son époux. Le vieux baron Empain se propose de les acquérir avec, en contrepartie, la transformation du statut de Schneider & Cie en Société Anonyme, plus adaptée aux exigences d'une entreprise moderne et au droit normal de ses actionnaires.

Durant la décennie 1960, la crise pèse, à l'évidence, sur le sort de ses activités industrielles et sur les grandes orientations stratégiques à adopter. Privé d'axes de conduite clairs, le groupe ne participe pas aux grands mouvements de concentration de la fin de la décennie. L'absence d'une vraie direction d'ensemble est néanmoins compensée par une structure décentralisée du groupe, où chaque société (grande ou petite) conduit de façon autonome ses affaires.

 

 

Le groupe Empain-Schneider (1969-1981)

L'ère du groupe Empain-Schneider commence en 1972, lors de l'accession à la présidence d'Edouard-Jean Empain. Le rapprochement des deux groupes, entamé en 1966, est effectif dès les années 1970, quand se mettent en place de nouvelles structures et de nouvelles équipes qui, pour l'essentiel, ne modifient pas la décentralisation traditionnelle chez Schneider ni ses principaux secteurs d'activité, dont la croissance est confirmée.

C'est, au fond, le paradoxe du règne du baron Empain. L'homme du mouvement et des grandes manœuvres de la fin des années 60 cède la place au président d'un grand groupe industriel de moins en moins belge et de plus en plus français. Plus gestionnaire de l'existant que stratège, ses dirigeants se trouvent sans cesse dans une position inconfortable, celle d'un groupe privé de chef de file d'industries lourdes fortement soumis aux politiques industrielles de l'Etat français. Une contradiction accentuée par la personnalité d'Edouard-Jean Empain, mal à l'aise dans le costume du chef d'entreprise, et par l'autonomie des grands "barons" sur le terrain, dont le groupe ne pourra jamais se débarrasser.

Cette situation aurait pu durer, mais la crise économique de 1973, que le groupe n'a pas pu, comme tant d'autres, pressentir, fragilise ses structures financières, impénétrables car soumises à des intérêts restés patrimoniaux, et le place dans une position de solliciteur privé de l'aide publique. Les conséquences du rapt du baron Empain en 1978 et la situation catastrophique dans laquelle se trouve Empain-Schneider vont ouvrir, de façon prématurée, la question de la succession pour le nouvel ensemble (qui est alors pourtant âgé d'à peine une décennie).

 

 

 

 

 


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